Pourquoi un jeu sur le climat ?

Valérie Masson-Delmotte
Chercheur CEA au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de l’Institut Pierre-Simon Laplace, co-présidente du GIEC pour le groupe de travail sur les bases physiques du changement climatique.
La création de ClimaTicTac a été guidée par l’envie de sensibiliser les jeunes aux enjeux planétaires du changement climatique, de manière ludique et non anxiogène.
Quel est le constat scientifique ?
L’influence humaine sur le climat de notre planète est clairement établie par la communauté scientifique. Nos rejets de gaz à effet de serre modifient le climat : l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère piège de l’énergie, qui s’emmagasine dans les océans, réchauffe les sols et l’air, renforce l’intensité des vagues de chaleur et des pluies torrentielles, fait fondre les glaces, et fait monter le niveau des mers, ce qui augmente le risque de submersion pour les régions côtières. L’évolution observée du climat des dernières décennies a déjà eu des effets dans tous les océans, sur les milieux naturels et sur les activités humaines de tous les continents. L’inertie du changement climatique est considérable. Pour limiter l’ampleur du réchauffement d’ici à la fin du siècle, nous disposons d’un ensemble de solutions pour réduire activement les rejets de gaz à effet de serre. Sans le déploiement ambitieux de ces solutions, le risque de conséquences graves et irréversibles sera très élevé d’ici à 2100, et hétérogène selon les régions. Différentes stratégies d’adaptation peuvent permettre de réduire les risques, mais leur efficacité n’est pas illimitée.
Nous sommes donc tous engagés dans une course contre la montre pour éviter d’être piégés par les risques d’un réchauffement non maîtrisé.
Quels sont les enjeux de citoyenneté ?
Face aux menaces du changement climatique, il est essentiel de permettre aux jeunes générations de se projeter dans l’avenir en tirant parti des ressources que constituent les connaissances scientifiques qui ont été mobilisées pour construire le jeu.
Le format collaboratif du jeu, amusant pour tous les âges, permet d’éviter tout fatalisme ou culpabilisation. Le jeu est construit sur des allers et retours permanents entre l’échelle locale, matérialisée par des villes situées dans différentes zones climatiques, y compris les migrations entre ces villes, et l’échelle globale, pertinente pour la trajectoire du climat planétaire.
Les joueurs sont acteurs de leurs choix, débattent et choisissent d’actionner un ensemble de leviers d’action pour l’adaptation et/ou pour réduire les rejets de gaz à effet de serre. Ils doivent faire face à des défis et des événements surprenants qui représentent la variabilité du climat. Ils partagent ainsi des péripéties drôles et tissent à chaque partie un destin commun différent. Le jeu est ainsi une opportunité de réflexion sur le temps long, en se projetant sur plusieurs générations : chaque tour de jeu correspond à une décennie, et les dix tours de jeu d’une partie permettent ainsi d’explorer les conséquences des choix des joueurs sur un siècle. À partir des aléas et des choix des joueurs, chaque partie construit un résultat différent, enrichi par le retour d’expérience des parties précédentes.
Inspiré par l’Accord de Paris sur le climat, ce jeu est une initiation à la réflexion stratégique, qui permet de comprendre les implications à long terme d’actions immédiates. Il est aussi une initiation à l’empathie, l’équité et à la coopération : les différentes villes du monde n’ont pas le même niveau de vulnérabilité, et ne sont pas soumises aux mêmes risques ; les solutions pour l’adaptation n’y sont pas les mêmes. Sans coopération pour maîtriser les rejets de gaz à effet de serre, les joueurs sont collectivement perdants et découvrent les conséquences en cascade des risques climatiques. Ils peuvent réussir à limiter les risques du changement climatique lorsqu’ils mettent ensemble en place une stratégie habile : c’est là tout le défi de ce jeu.